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Par Philippe Coste, Intérim à New York — 26 décembre 2018 à 21:06
Affichant son pire mois de décembre depuis 1931, la Bourse de New York menace les autres places mondiales. Au cœur du tumulte, le président américain a multiplié les signes négatifs, de la guerre commerciale avec Pékin au «shutdown», en passant par ses critiques visant le patron de la Réserve fédérale.
La «bulle Trump» savonne les marchés
Les mauvais signes sont venus d’Asie, où une chute de l’indice Nikkei (- 5 %) a révélé mardi la panique des marchés boursiers. La Bourse japonaise, qui baisse malgré les efforts répétés du gouvernement, confirme un glissement généralisé vers un marché baissier reflétant un ralentissement mondial de la croissance et des investissements. Mais la quasi-totalité de la planète finance se tourne vers l’épicentre du séisme : les Etats-Unis, où Wall Street a accusé un recul de 600 points, affichant son pire mois de décembre depuis 1931. Et où le lendemain de Noël annonce la fin de la «bulle Trump», une embellie nourrie par dix ans de taux d’intérêt minimes, puis par le zèle pro-business et les baisses mirifiques de l’impôt sur les sociétés de la nouvelle administration américaine, désormais contrecarrée par ses propres travers. Le leader planétaire, tout à sa rogne contre la Réserve fédérale (Fed), enlisé dans une guerre commerciale mondiale et assez enragé pour ceindre une partie de son pays au nom de sa promesse démagogique d’un mur frontalier, s’est mué en trublion anxiogène dont les errements politiques contribuent aux incertitudes et aux ventes massives sur le marché boursier. Malgré les appels suppliant à la prudence de son entourage, Donald Trump est le premier président américain à s’être jamais vanté de la hausse du Dow Jones. Il lui faudrait aujourd’hui endosser sa part de responsabilité dans le recul des marchés et constater l’étonnante immaturité de ses collaborateurs sur le sujet. Dans l’optique de les rassurer, son directeur du Trésor n’a fait qu’aggraver la situation en annonçant dimanche qu’il avait contacté les plus grandes banques américaines pour s’assurer de leurs réserves en liquidité. A la veille de Noël, «cela revenait à évoquer un problème qui n’existait pas : le meilleur moyen d’agiter les marchés et de suggérer l’existence de nouvelles inconnues», regrette Komal Sri-Kumar, président du consultant international Global Strategies. Car les sujets de préoccupation ne manquent pas : conflit ouvert attisé par le Président contre le chef de la Fed en raison de ses hausses de taux d’intérêt, craintes dues à la guerre commerciale intentée par Trump à la Chine, et chaos provoqué par la fermeture partielle des administrations américaines, otages de ses caprices après le refus du Congrès de voter les crédits de 5,6 milliards de dollars pour son mur à la frontière.
La Fed, stabilisateur dans le viseur
Dans l’histoire américaine, seul George Bush Sr. s’était plaint publiquement, en 1991, de la politique de la Réserve fédérale, jugée trop lente pour accélérer la reprise économique à la veille des élections. Trump a brisé tous les tabous, attaquant depuis six mois comme si le patron de la Réserve était un simple subordonné indiscipliné, coupable d’augmenter trop vite les taux d’intérêt et de se focaliser sur les risques de surchauffe d’une économie au plein-emploi. Le Président a cru rassurer les marchés, mercredi matin, en faisant savoir que le job de Jerome Powell n’était pas menacé, confirmant qu’il avait envisagé de le congédier. Il en faudra pourtant plus pour effacer l’effet désastreux d’un tweet du 24 décembre assurant que «l’économie n’a qu’un seul problème, la Fed».
Le conflit constant suscite l’inquiétude sur la légitimité de l’institution fédérale et sur sa capacité à agir sereinement en fonction des besoins réels de l’économie pour assurer la stabilité financière du pays à moyen terme. Powell peut s’inquiéter des risques d’inflation dans une économie où le taux de chômage est de 3,7 %. Ses hausses progressives de taux d’intérêt, unanimement approuvées par le board de la Fed, visent avant tout à ménager une marge de manœuvre suffisante pour l’avenir, s’il était nécessaire de les réduire pour stimuler l’économie et éviter une récession. Mais Trump, mu par une vision de court terme, n’a cure du rôle stabilisateur de la Fed. Et laisse planer le doute sur sa capacité à confronter efficacement un revirement économique, ajoutant à l’instabilité des marchés.
Une guerre commerciale lourde de conséquences
Le bras de fer avec les partenaires commerciaux historiques des Etats Unis, de l’Europe, du Canada, du Mexique et de la Chine figurait en tête des promesses électorales de Trump en 2016. Depuis, il n’a cessé d’attiser l’offensive imposant des droits de douane, au nom de la sécurité nationale, sur les importations d’aluminium européennes et canadiennes, bousculant sans autre raison qu’un populisme xénophobe les termes de l’accord de libre-échange nord-américain (Alena). Malgré un semblant de trêve avec la Chine, le gouvernement continue de harceler Pékin avec 142 demandes de révisions de termes commerciaux, sans aborder par ailleurs les points de contentieux les plus pertinents du commerce sino-américain, comme la protection des droits intellectuels ou le pillage des secrets industriels occidentaux par les Chinois. Pour quel résultat ? Les représailles chinoises sur les importations agricoles obligent le gouvernement américain à pourvoir des fonds de secours pour les producteurs de soja américains, boycottés par Pékin.
En attendant, les effets d’une année de guérilla commerciale commencent à se faire sentir : les exportations américaines de produits sujets aux représailles des partenaires commerciaux des Etats-Unis ont chuté de 26 % par rapport à l’année dernière. Le déficit commercial, obsession de Donald Trump, s’est aggravé de 11 % comparé à l’année dernière, et devrait atteindre 600 milliards de dollars au 31 décembre, soit 25 % de plus qu’à la date de son entrée à la Maison Blanche en janvier 2017. Les incroyables largesses fiscales accordées aux entreprises par le gouvernement en place contribuent à la hausse des importations en dépit des brimades douanières. En retour, les exportations vers la Chine, d’une valeur de 102 milliards, ont baissé d’1 milliard par rapport à 2017.
Un «shutdown» de mauvais augure
Trump pourrait bientôt entendre une nouvelle devise dévastatrice : «Le seul problème de l’économie, c’est Donald Trump.» Son acharnement à réaliser sa promesse la plus absurde, le mur à la frontière mexicaine, a abouti au blocage d’une des six lois de finance nécessaires au fonctionnement de l’Etat américain. Certes, l’effet de cette fermeture est réduit par la période des fêtes, mais ce coup de masse sur les institutions, revendiqué par Trump devant ses opposants Nancy Pelosi et Chuck Schumer, confirme avant tout l’imprévisibilité du gouvernement de la première puissance économique mondiale. Le «shutdown» ne coûterait (pour l’instant) que 1,2 milliard alors que 70 % des fonctions de l’Etat restent financées et assurées. Mais l’incident augure d’une guerre à venir entre le Congrès et la Maison Blanche après la victoire démocrate à la Chambre des représentants et, à terme, un dysfonctionnement plus grand encore des institutions en raison de l’intransigeance inédite de Trump. Un chaos qui ne fera qu’aggraver l’inquiétude des marchés.
Philippe Coste Intérim à New York
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